Editeur : La rumeur libre
Collection : Zωgraphia
ISBN/code barre978-2-35577-026-5
Format : 225 x 295 mm.
Reliure : Dos carré collé, cahiers cousus
Nombre de pages /120
Poids : 500 g
Illustration : 27 gouaches originales d'Evaristo (format original 50 x 60)
Livre d'art, poésie & peinture en hommage au peintre Evaristo. Il contient 27 gouaches inédites (format 50 x 60 cm.).
A paraître le 1er novembre 2011
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EVARISTO
LA DOULEUR D’ÊTRE DANS LA DOUCEUR D’APPARAÎTRE
Depuis les sources claires d’une humanité première nous parvient la voix d’Evaristo, venue de très loin, tantôt douce comme une pluie d’enfants, tantôt violente comme le cri des bêtes, les rafales du temps, la plainte des trépassés – derniers remords avant l’oubli. Car elle a traversé les champs désolés de l’exil, des nuits terrifiées de l’enfance aux lugubres visions de la guerre civile. Sa terre brûlante d’Espagne, qui nourrissait sa faim. Puis le feu des désastres. La solitude. La pauvreté. Et la fin de l’exode, la vie retrouvée dans la lumière rugueuse d’un monde sans artifices : l’amour des simples, le rude labeur des ouvriers aux silhouettes chantantes dans le petit matin ou penchées sur le soir qui descend, le peuple fraternel de Saint-Fons. Vallon Pont d’Arc : la terre natale ressurgie. Là peut enfin se pacifier le malheur, grâce à la compassion pour cette humanité blessée comme lui : « Dans ma petite voyance, je contemple avec mon cœur ce qu’ils me donnent à voir de moi-même et de tout autre et je le montre à travers l’émotion de mon amour. Si je provoque l’émotion de celui qui voit ma toile, c’est que c’est lui-même qu’il contemple alors. » Commence ici aussi l’amour de la poésie, sa grande amitié avec Roger Kowalski dont l’œuvre le fascine, car « en elle gronde une faim de pureté et d’élévation vers l’absolu. » Désormais, il cherchera souvent dans les livres les « trésors…qui l’ont aidé à réveiller du plus profond de (lui) des toiles insoupçonnables. »
Il y eut une période obstinément rouge, aux chasses magnifiques. Bêtes sauvages et créatures humaines dévorées par leur faim rapace de chair, de couleur, d’amour, d’espace, de vérité. Petites filles étranges aux regards prédateurs, aux bouches sans pardon devant la vie dévastée et meurtrie. Puis ce furent les paysages lunaires aux falaises hantées de spectres en dentelles de bronze, somnambules poèmes de pierre hallucinée. Et la terre solaire de l’Ardèche qui embrase de jaune pur, de vermillon et d’émeraude les toiles récentes où des anges de lumière passent en rêvant. Ils veillent désormais sur ce monde encore à naître, sur ces êtres blottis dans la chaleur d’une prière, le tremblement d’une étreinte. Mais à chaque époque, dans chaque tableau, qu’il soit féerique ou funèbre, c’est le même regard qui interroge l’abîme, dans sa muette inquisition comme dans la fureur d’une révolte contre tout ce qui exclut, renie, violente ou assassine.
La mort est effroyable, alors il faut la vaincre, nous dit Evaristo : ce que seul l’art peut accomplir « en en faisant quelque chose de très beau. ». Entre la beauté et la mort il y a comme un combat dans ses toiles, à même leur chair d’huile ou de gouache griffée de sang. Sans ce combat, il n’y a pas d’art. Car pour être affrontée, la mort doit être dévisagée. Derrière les moindres apparences de la vie, Evaristo tente de la démasquer et de la traquer, fustigeant toutes les vanités. Non pour la glorifier, mais pour lui arracher son masque et la terrasser. Il déchaîne alors les forces de la nuit : carnaval d’animaux tristes, défilé de monstres carnassiers, ronde de spectres affamés, Annonciations au lys vénéneux. La femme aux mains sereines, dans le crépuscule de sa vie, caresse déjà l’étoffe sombre de l’invisible ; la clarté d’une lune d’outre - monde resplendit dans la pureté de son regard fixé sur l’impensable blancheur. Superbe étole du silence froissée d’or et de pourpre que déroule la toile dans le jour défunt. Une mère contemple son enfant mort ; Christ inlassablement recrucifié. Des ombres violettes, un outremer impénétrable signent l’impossible envol des résurrections. Comme si la mort berçait notre humanité.
Fleurs sacrifiées, pour voiler ; étamine des cieux déserts. La dimension mystique, cette chose qui va plus loin que le symbole, où apparaît - elle dans la toile ? Dans la couleur, dans les traits, dans l’énigme des visages. Ces yeux d’ombre foudroyée de colère ou d’angoisse ne sont pas vides. Ils voient au-delà, ils rencontrent le secret d’une souffrance qui n’a pas d’explication dans notre monde. Et ce noir dans les orbites, c’est le signe de la profondeur de notre âme, énigme de la puissance qui nous lie dans l’amour comme dans la haine. Car il en va de l’invisible en peinture comme de l’indicible en poésie. Pour Evaristo, « un peintre est comme un poète. S’il n’est pas poète, il ne peut pas montrer ce à quoi il se donne tout entier, dans la plus profonde pensée de son âme. » L’espérance en cet « autre chose » qui se dévoile ici-bas, sur la palette même du peintre, au cœur rouge et terrestre de son atelier, dans la tendresse d’une douce lumière de nacre, c’est l’espérance qui nous console dans l’espace abrité d’humain qu’est toute création. L’art nous console d’avoir vu jusque dans la douleur d’une émotion qui déborde la toile en couleurs broyées par la passion d’une urgente beauté, ce que nous ne pouvons pas voir et qui n’a ni mots ni visage pour caresser la douceur d’apparaître.
Ce que l’artiste ressent est comme une musique ; il n’a pas besoin de paroles ni d’explications : « La peinture et la musique sont comme deux sœurs. » Elles demandent de se sonder jusqu’à la mort dans une âme et dans un corps, jusqu’aux frontières de ce qui ne possède ni la trame d’un langage, ni la douceur d’un visage. Evaristo n’a cessé de peindre, infatigable, de l’aube claire au crépuscule vague, que pour aller au bout de ce chemin, au fond de cette nuit transfigurée où l’art et la vie ne font plus qu’un. À cet endroit à la fois lumineux et obscur de soi - même, qu’elle soit ébranlement violent d’exister ou suavité profuse des songes, Evaristo nous enseigne que « la vie consiste à être éprouvé. »
Anne Brouan
N.B. : les propos cités en italique sont d’Evaristo, extraits de documents du peintre ou d’entretiens particuliers avec Anne Brouan.